South Park - Le Film  Plus long, plus grand et pas coupé

Stan, Kyle, Kenny et Cartman ont réalisé le rêve secret de millions d'enfants : assister à la projection d'un film canadien de Terance et Phillip interdit aux moins de 18 ans! Noyés sous un flot de "fuck!", "shit!", "asshole!", "ta mère", "enc..." et autres joyeusetés, tétanisés de bonheur et transportés au septième ciel, les quatre garnements n'ont plus qu'une idée : transmettre leur savoir nouvellement acquis à leurs copines et copains verts d'envie et rouges de confusion. La bonne parole se propage à travers l'école comme un feu de brousse. Lazzis et insultes ordurières éclatent à tout propos, l'anarchie s'installe et les enseignants, horrifiés et impuissants, de s'arracher leurs derniers implants...
Les mères, alertées, s'unissent sans tarder pour juguler le terrible fléau, organisent des meetings et décident de frapper un coup décisif en faisant arrêter Terance et Philip en direct live.
Le gouvernement canadien proteste, la Maison Blanche surenchérit, les vieilles haines entre les deux géants nord-américains resurgissent, Satan et Saddam jubilent, la tension monte encore de quelques crans, et bientôt, c'est la guerre!

Au début de sa production, South Park - Le Film a été imaginé comme la fin de la série. Car, après une première saison très bien reçue par les critiques, la deuxième saison n’avait pas eu le succès escompté, laissant planer le doute sur un possible arrêt de la série. Ainsi, la création du film se fit avec un total lâcher prise, sans se soucier des mauvais retours qu’il pourrait recevoir. De ce postulat, la volonté était claire : il s’agissait de rendre le film encore plus “vulgaire” que la série qui elle est classée PG-13 (soit “interdite au moins de 13 ans”). Cependant, Paramount demanda à ce que le film ne devienne pas PG-17 (soit “strictement interdit au moins de 17 ans”), car certaines salles de cinéma pourraient refuser de le diffuser.

Un jeu s’est alors mis en place entre l’équipe du film et l’association responsable de la notation (la MPAA). Lorsque la MPAA leur faisait un premier retour sur des éléments à modifier, les créateurs (Trey Parker et Matt Stone) s'amusaient à envoyer des idées encore plus crasses en retour! Après cinq tentatives, le scénario du film est prévenu à être classé en R (soit “interdit aux moins de 17 ans non accompagnés”), et ce en passant juste en dessous du seuil de tolérance de 400 gros mots (en en incluant “seulement” 399…). Cependant, avant de confirmer leur choix, il manquait juste à revoir le titre. Au départ, le film devait s’appeler “All Hell Breaks Loose”, mais la MPAA s’était opposée à l’utilisation du terme “Hell (Enfer)”. Étrangement, la seconde proposition “Bigger, Longer & Uncut” a elle été acceptée, l’association n’ayant à ce moment là pas remarqué le sous-entendu graveleux. Ce n’est que plus tard que Jack Valeny (Président de la MPAA) a déclaré regretter de ne pas avoir passé le film en PG-17. D’ailleurs, le film est rentré dans le Guiness Book en 2001 en devenant le film d’animation le plus grossier de l’histoire avec ses 399 gros mots, ses plus de quatre cents gestes offensants et ses 133 utilisations du mot “fuck”.

Après cette victoire, de nouvelles complications sont venues au moment de la conception de la bande-annonce : le règlement américain imposait que les bandes-annonces de film soient classées en G (soit “tout-public”). C’était alors un problème pour les deux créateurs, car aucune scène du film ne pouvait respecter ces conditions. Contre leur volonté, la bande-annonce du film a finalement été gérée par l’équipe marketing de Paramount. Il en est résulté une communication complètement aseptisée, épurée de toute grossièreté. Ecoeuré, Matt Stone avait alors tenté de voler le négatif pour qu’un de ses amis puisse le cacher ; mais il dû finalement céder par peur de possibles poursuites judiciaires. Aujourd’hui, une version alternative de la bande-annonce (montée par les créateurs de la série) est disponible, mais la communication mensongère de Paramount a très certainement amené des parents à emmener leurs enfants voir un film d’animation qui n’était pas adapté pour eux…

A cause de ce chassé-croisé avec la MPAA, la production du film a pris du retard ; et alors que le film n’était pas terminé, l’équipe de South Park dut en parallèle commencer la réalisation de la troisième saison de la série. Beaucoup de stress s’est alors accumulé, jusqu’à envoyer Trey Parker à l’hôpital suite à d’intenses douleurs au niveau du ventre. En entretiens, les deux créateurs assument n’avoir aucun souvenir de cette période, tellement celle-ci fut rude.

A l’instar de leur premier film Cannibal the Musical, Trey Parker et Matt Stone ont voulu faire de South Park - Le Film une comédie musicale. Pour écrire les douze chansons, ils ont pour cela été épaulés par le compositeur Marc Shaiman. Il apparaît d’ailleurs physiquement dans le film, en tant que pianiste de Al Super Gay. Pour la chanson “Hell isn’t Good”, ils ont aussi reçu l’aide du musicien James Hetfield (co-fondateur de Metallica, il n’a pas souhaité être crédité pour éviter d’apparaître sur des projets sans les autres membres du groupe). Cependant, aucune chanson ne fut mentionnée au moment des bandes-annonces du film. Pourtant, South Park - Le Film fut nominée aux Oscars en 2000 dans la catégorie “meilleure musique originale” pour “Blame Canada”. Pour l’occasion, il y eut une prestation live de la chanson par l’acteur Robin Williams (mais cela n’a pas permis au film de remporter l’Oscar). A propos de la cérémonie, Trey Parker et Matt Stone s’y sont rendus sous acides, déguisés en Jennifer Lopez et Gwyneth Paltrow. La raison ? Au départ, ils souhaitaient venir en costumes de poulet, mais ils avaient eu peur de ne pas pouvoir rentrer. En robes, ils avaient alors imaginer qu’ils pourraient se plaindre de “sexisme” s’ils venaient à être expulsés de la cérémonie…

Au niveau des voix américaines, si le casting principal de la série est repris, on y retrouve aussi quelques guests avec George Clooney (qui avait déjà prêté sa voix à au chien Sparky dans la série) sur le Dr. Gouache, Eric Idle sur le Dr. Vosknocker et Mike Judge (créateur et interprète de Beavis et Butt Head) sur Kenny (dans sa seule ligne intelligible du film). Malheureusement, la comédienne Mary Kay Bergman (interprète de toutes les voix féminines du film et de la série) mettra fin à ses jours quelques mois plus tard après la sortie du film : elle était atteinte de troubles bipolaires et d’anxiété généralisée. Un ultime hommage lui sera rendu lors de l’épisode “Les Chants de Noël de monsieur Hankey” de la troisième saison.

Sur la forme, le film regorge de caméos, et la majorité des personnages originaux des deux premières saisons sont présents. Pour les plus curieux, on retrouve d’ailleurs six Visiteurs cachés dans les différentes scènes du métrage. En dehors de cela, le film est une parfaite entrée dans l’univers de la série. Avec la chanson “Mountain Town”, tous les personnages et les thématiques majeurs de l’intrigue sont introduits et le film est complètement accessible aux néophytes de l'œuvre.

Sur le scénario et les messages du film, South Park - Le Film est considéré comme “un film d’animation classé R qui parle d’un film d’animation classé R venant de sortir à South Park”. Il s’agit d’une introspection complète sur la production du film et sur les critiques reçues sur la série. Les thèmes liés à la censure et à la liberté d’expression y sont très présents. Notamment, le film souligne que la vulgarité est considérée plus grave pour les parents américains que la violence (comme la MPAA qui n’avait rien à redire sur les scènes violentes au moment de la classification du film). Le long-métrage aborde aussi de nombreux thèmes comme la guerre, la politique américaine et les relations toxiques en général, mais tout cela est évidemment fait avec beaucoup d’humour.

Financièrement, le film a été une réussite. Il est resté le film d’animation classé R le plus rentable de l’Histoire jusqu’à l’arrivée de Sausage Party en 2016, avec 83 millions de dollars au box-office. Cette réussite a finalement permis de donner un second souffle à la série, et de donner aux créateurs la volonté de continuer à travailler sur les épisodes. De plus, même si le film n’a pas remporté d’Oscar, Stephen Sondheim (compositeur de la comédie musicale West Side Story) aurait dit à Trey Parker que South Park - Le Film était le meilleur Music-Hall qu’il avait vu ces quinze dernières années. Tandis que Richard Corliss (journaliste au Time) a classé le film à la 6e place des meilleurs film d’animation de tous les temps. Cependant, Trey Parker et Matt Stone ont rappelé qu’ils ne souhaitaient pas réaliser d’autres films South Park. En termes d’effort, il est pour eux plus rentable de travailler sur le format en épisodes et en vendant en parallèle des produits dérivés de la série.

Au niveau de la distribution du film en France, seule la version québécoise du film a eu le droit à des chansons adaptées en français. Malgré tout, les nostalgiques se souviendront de l’avant-première avec les voix françaises de la série, mettant un véritable chaos dans la salle de cinéma.