Pinocchio par Guillermo del Toro

Il était une fois, dans un petit village d’Italie, pendant la Grande Guerre. Gepetto est un humble menuisier et fabricant de jouets en bois respecté de tous. Il aime et s’occupe seul de son jeune fils Carlo. Mais un jour, alors qu’ils travaillent tout les deux sur la rénovation de l’église du village, l’édifice explose sous les bombes d’un bombardier autrichien, et Carlo meurs.
Les années passent, et en 1936, tandis que le pays est sous le régime fasciste de Benito Mussolini, Gepetto n’est plus que l’ombre de lui-même : il sombre dans l’alcoolisme, pleurant sans cesse la mort de son fils bien-aimé. Un soir, accablé par le chagrin, il coupe un arbre et le ramène dans son atelier. Il s’en sert pour fabriquer un pantin de bois ressemblant à Carlo. Pendant la nuit, l’Esprit de la Forêt se rend dans la maison et donne vie au pantin, l'affublant du nom de Pinocchio. L’Esprit charge Sébastien J. Criquet, un petit insecte érudit qui se trouvait dans l’arbre qui a servi à façonner Pinocchio, de veiller à ce que le pantin suive le bon chemin.
L’entente entre le menuisier brisé et le pantin espiègle s’avère difficile, d’autant que Pinocchio attire la convoitise de deux individus peu recommandables : le Comte Volpe, un artiste itinérant qui entend exploiter le pantin dans des spectacles autour du monde, et le Podestat, un fonctionnaire fasciste en poste au village, qui voit en notre héros une arme de guerre efficace.
Marionnette, petit garçon, ou monstre ? C’est dans une aventure étonnante et chargée d’émotion que la nature réelle de Pinocchio se dévoilera, dans un contexte ou l'homme se déshumanise peu à peu...

Avant sa diffusion sur la plateforme de streaming Netflix, Pinocchio était une arlésienne dans la filmographie de son réalisateur, Guillermo del Toro (Hellboy 1 et 2, Le Labyrinthe de Pan). Annoncé dès 2008 comme un projet personnel, il s’agit du tout premier long-métrage d’animation, animé image par image, du metteur en scène. Celui-ci n’a jamais caché son admiration pour ce médium, puisqu’il fut producteur délégué chez DreamWorks Animation pendant quelques années, à crée et réalisé quelques épisodes de la série Chasseurs de Trolls, et défendit ouvertement l’animation lors de nombreuses entrevues. Del Toro passera treize ans à mettre son petit pantin sur pied. Pour se faire, il mit à contribution des cadors du métier : il coécrit le script avec son collaborateur Matthew Robbins, engage l’animateur Mark Gustafson en tant que coréalisateur, et se base sur les illustrations de Gris Grimly pour construire l’univers du film.
La préproduction connu ses heurts, puisqu’il fut un temps question de réaliser le film en animation traditionnelle en collaboration avec Joann Sfar, avant d’opter pour de la stop-motion, et qu’il devait sortir au cinéma par le biais du studio Pathé. Alors que le film était au point mort et que del Toro s’apprêtait à baisser les bras, il trouve enfin une maison de production avec Netflix, qui se chargera de diffuser le film dans le monde entier.

Réalisé en collaboration avec la maison de production de Jim Henson et celle de MacKinnon & Saunders, l’animation en stop-motion est l’une des plus saisissantes qui ait jamais été réalisée. Les mouvements des personnages sont consistants et d’une grande précision, au point qu’on ai l’impression qu’il s’agit d’images de synthèse. Les animateurs furent d’ailleurs encouragés à reproduire des mouvements humains et spontanés. Le film fut tourné simultanément avec une autre œuvre de del Toro, le thriller psychologique Nightmare Alley, sans qu'il y ai eu d'impact sur les deux longs-métrages.
En tant que nouvelle adaptation de l’œuvre de Collodi, l’objectif des auteurs était de se détacher de la version Disney de 1940, la plus populaire de toute et à laquelle Guillermo del Toro n’a jamais caché son admiration, la qualifiant affectueusement de film d’horreur pour enfants. Il prit le parti de placer l’histoire dans une réalité historique troublée, en l’occurrence l’Italie fasciste des années 30, posant ainsi le contraste entre le regard enfantin de son héros et le monde sans pitié des adultes. En définitive, del Toro pose la problématique de la place de l'innocence et du merveilleux dans un contexte dur et désespéré.
On retrouve ainsi la violence couplée à la poésie chères au réalisateur, ainsi que son amour du fantastique et des mythes. A l’instar du Labyrinthe de Pan ou de La Forme de l’Eau, le monstre est magnifié, beau et emprunt de pureté, tandis que l’homme est équivoque, agressif et injuste, au point que la créature (Pinocchio) s’avère finalement plus humaine que certains hommes (le Podestat, le Comte Volpe).
Le film ne nous épargne donc aucun moment de violence et d’intensité, et on peut applaudir le fait que del Toro soit allé au bout de son récit. Le personnage de Pinocchio a été traité avec soin et sensibilité. On met en parallèle le mythe de Frankenstein, ce monstre qui se découvre une âme et est en conflit avec l’espèce humaine, et on aborde des thèmes très adultes comme la mort ou le deuil, ou même des sujets tabous dans des films pour enfant comme les jeunesses hitlériennes, la propagande ou la religion chrétienne. Le film prend d’ailleurs une dimension particulière si on prend on considération le fait que Pinocchio se laisse facilement convaincre par les mensonges puisqu’il ne voit pas le nez de ses interlocuteurs s’allonger. Quand au personnage de Gepetto, il est ici décrit comme un vieil homme brisé, qui a perdu le gout de la vie, loin du père doux et candide de beaucoup d'adaptations.

Sorti en décembre 2022 sur Netflix, le film fut acclamé par les critiques au point de recevoir un Oscar mérité, cérémonie au cours de laquelle Guillermo del Toro a défendu l'animation dans un milieu ou celle-ci est de plus en plus méprisée. Soutenu en version originale par un casting d’acteurs reconnus, parmi lesquels Ewan McGregor, Tilda Swinton, Cate Blanchett et Ron Perlman (acteur régulier de Guillermo del Toro), le film jouit d’une fantastique version française portée par des comédiens talentueux qu’on entend très peu en animation.
Merveilleux film qui déborde d’émotions et d’inventivités visuelles, Pinocchio peut être vu comme un manifeste sur la beauté de l’animation, et qui ne laisse pas le spectateur de marbre.